Parade est à envisager à la manière d’une géographie humaine et imaginaire, où chaque identité se fait le véhicule d'évocations singulières, où chaque visage devient un paysage mémoriel conjuguant passé et présent. Une sorte de monument chorégraphique éphémère édifié par sept silhouettes, dépliant une collection d’instants sur l’excès de pouvoir.
Comment s'incarnent les figures de la domination, de l'autorité, de la soumission, de la révolte – toutes les formes de violence politique et sociale ? Comment les postures et la gestuelle exacerbée des dictateurs travaillent nos représentations du pouvoir ? Et qu'est-ce qui se glisse entre ces instantanés, ces poses figées ? De ce catalogue de gestes, d’attitudes, de postures et de visages issus de photographies de dirigeants, de politiciens, de religieux, mais aussi de manifestants ou de mouvements de révolte - émerge une méditation sur les procédures d’uniformisation qui contraignent les corps ainsi que sur le potentiel de renversement de ces représentations.
Distorsion et suspension des visages
Le principe des partitions a été conçu afin que chaque attitude extraite des photographies, sortie de son contexte, ne soit qu’un point de passage dans la chorégraphie. Le protocole de départ s’appuie sur un travail à l’unisson. A partir d’une série de « micros mouvements » à peine perceptibles, tout l’enjeu de cette pièce est d’aboutir à un enchaînement continu d’états. A l’intérieur du continuum, des cycles de gestes se répètent inlassablement jusqu’à se métamorphoser sous l’action de la fatigue et du décalage progressif des interprètes.
Des corps alignés, le regard porté vers un horizon invisible. Des présences en constante évolution, devenant au fur et à mesure un inquiétant paysage d’attitudes.
Des vibrations lumineuses
Le principal dispositif scénique sera une architecture lumineuse utilisant une palette colorée de magenta, de rose et de fuchsia. La présence de cette architecture en perpétuel mouvement agira comme un repère temporel rappelant les aléas météorologiques – ciels couverts, ensoleillement ou tempêtes. Cette composition autonome provoquera des bouleversements passagers : les variations de lumières, quasi unicolores, s’écouleront inexorablement de seconde en seconde, métamorphosant l’espace de représentation et les identités des corps.
Un écosystème chorégraphique
D’une certaine manière, la composition – comprenant l’ensemble des médiums utilisés – est semblable à celle d’un jardin : l’intention serait de parvenir à une relation harmonieuse entre les éléments, tout en incluant cette part indispensable du vivant que représente “l’aléatoire”.
À travers les transformations minimales et épurées des gestes, les apparitions et disparitions, l’expressivité, les contorsion des visages – s’affirme en creux, presque de manière spectrale, la part historique et culturelle des photographies et des matériaux d’origine. Cet horizon quasi contemplatif de gestes et de postures qui se répondent et se complètent, se fondent et s’enchaînent – offre un espace méditatif de réflexion : une boite noire où oscillent les fantômes de l’histoire. Une façon de condenser un récit commun, mais aussi d’en enclencher d’autres.
« C’est ce que Godard appelle la fraternité des métamorphoses : la possibilité pour une attitude dessinée par le crayon de Goya de s’associer avec le dessin d’un plan cinématographique [...] ; la possibilité d’écrire de multiples façons l’histoire du siècle en vertu du double pouvoir de chaque image : celui de condenser une multiplicité de gestes significatifs d’un temps et celui de s’associer avec toutes les images douées du même pouvoir »
Jacques Rancière, Le spectateur émancipé – édition La Fabrique, 2008